L’écosystème des acteurs de la mise en œuvre des projets d’intégration régionale dans le bassin du Congo: le besoin d’une bonne division du travail

  • L'intégration régionale est généralement définie comme un processus par lequel les pays cèdent une partie de leur souveraineté nationale sur certains aspects spécifiques, de  la sphère économique, politique, monétaire ou sociale. Elle implique généralement la mise en place d'institutions supranationales et la ratification de traités fixant les règles, les objectifs et les échéanciers d'intégration. Dans ce schéma, les autorités nationales donnent les moyens nécessaires à l’institution régionale pour mener à bien la mission convenue pour le compte de tous les pays. L’intégration régionale se matérialise à travers le financement et la mise en œuvre de projets communs au profit de l’ensemble des pays de la région. Ces projets sont appelés projets d’intégration régionale pour lesquels des pays sont emmenés à collaborer dans la réalisation de tout ou partie des activités. Lorsque le projet concerne deux pays par exemple, les acteurs de mise en œuvre sont aisément identifiables et la mise en œuvre est relativement sous contrôle. Par contre, lorsque le projet couvre plusieurs pays pouvant impliquer toute la sphère géographique de la région, les difficultés de mise en œuvre s’accentuent. Les acteurs de mise en œuvre deviennent plus nombreux et diversifiés, avec parfois des intérêts qui ne convergent pas.

    Trois évaluations récentes réalisées par le département de l’évaluation indépendante du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) ont souligné un manque de répartition explicite et claire des responsabilités et l’existence de tensions entre les entités participantes au projet commun, notamment entre les Communautés économiques régionales et les agences d’exécution spécialisées. Ces  évaluations sont :a) l’évaluation de la stratégie et des opérations d’intégration régionale en Afrique de l’Est; b) celle de de la stratégie et des opérations d’intégration régionale en Afrique centrale; et c) l’évaluation du Fonds forestier pour le bassin du Congo (FFBC).

    Tensions entre les acteurs de mise en œuvre…

    Ces tensions peuvent se manifester (i) entre des pays membres et la Communauté économique régionale à qui eux-mêmes ont donné mandat. Les évaluations indiquent que les Communautés économiques régionales en Afrique centrale et de l’Est sont faibles car elles manquent de capacités humaines et financières pour affirmer leur autonomie. Il peut s’agir d’un problème de confiance dans les capacités de l’institution régionale à mener à bien la mission à elle confiée. Des tensions peuvent exister également (ii) entre la Communauté économique régionale et les agences régionales spécialisées mise en place par les pays membres.

    Les tensions internes

    Ces tensions peuvent se manifester (i) entre des pays membres et la Communauté économique régionale à qui eux-mêmes ont donné mandat. Les évaluations indiquent que les Communautés économiques régionales en Afrique centrale et de l’Est sont faibles car elles manquent de capacités humaines et financières pour affirmer leur autonomie. Il peut s’agir d’un problème de confiance dans les capacités de l’institution régionale à mener à bien la mission à elle confiée. Des tensions peuvent exister également (ii) entre la Communauté économique régionale et les agences régionales spécialisées mise en place par les pays membres.

    Il existe une forme de la concurrence pour la mise en œuvre des opérations. Une constatation de l’évaluation du projet d’appui à la conservation des écosystèmes dans le bassin du Congo (PACEBCO) à laquelle j’ai participé est que, le rapport du projet a fait une cartographie assez exhaustive des acteurs internes sans que la division du travail entre ces acteurs soit claire[1]. L’architecture organisationnelle du projet entre la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, la Commission des forêts d’Afrique centrale, le Réseau des aires protégées d’Afrique centrale et la cellule ad-hoc de Coordination du PACEBCO était tellement lourde qu’elle a créé un goulot d’étranglement lors de la mise en œuvre du projet.

    Les tensions externes

    Le bassin du Congo est une source d’attraction de financements et d’initiatives de plusieurs bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux (voir quelques initiatives à la page 19 du rapport d’évaluation du Fonds forestier pour le bassin du Congo). La zone attire aussi des ONGs et des Organisations de la société civile (OSC) qui interviennent dans le domaine de la sauvegarde de l’environnement. Il y a très peu de coordination entre les interventions des bailleurs de fonds, et manifestement, il y a peu de désir de coordination. Par conséquent, en dehors des fonds multi-donneurs tel que par exemple le Fonds forestier pour le bassin du Congo, chaque bailleur de fonds identifie ses projets et ses zones d’interventions avec le risque que le bénéficiaire du projet ne soit pas capable d’attribuer certaines réalisations à tel bailleur de fonds ou à tel autre. Une sorte de flou total.

    La place des ONGs et des Organisations de la société civile…

    L’autre face de la bataille est celle qui existe entre les ONGs, les OSC et les agences nationales et régionales, chacune des parties voulant intervenir dans la réalisation du projet et souvent contre le respect des règles et procédures du bailleur de fonds. L’évaluation du Fonds forestier pour le bassin du Congo indique que « la plupart des projets dans lesquels le gouvernement figurait parmi les signataires de contrat ont été mis en œuvre dans le cadre d’un mécanisme de financement intégral par les ONG ou des entités du secteur privé… » et que « …les États d’Afrique centrale, par l’intermédiaire de la Commission des forêts d’Afrique centrale, ont exprimé très tôt leur inquiétude quant à la manière de choisir la première série de projets. Plus précisément, la plupart des projets issus du premier appel à propositions provenaient d’ONG internationales… ». Dans la mise en œuvre du PACEBCO, des tensions ont opposé la coordination du programme et l’Organisation néerlandaise de développement (SNV) qui jouait un rôle clef dans les projets de développement local. La SNV s’était retiré du programme en raison d’un désaccord avec la BAD au sujet du recrutement de son personnel.

    Certains bailleurs vont jusqu’à contourner les Communautés économiques régionales pour mettre en œuvre leurs projets à travers des ONGs internationales, conférant un rôle d’observateur aux Communautés économiques régionales et à leurs agences d’exécution. Ce qui est contraire à l’objectif de renforcement des capacités des institutions régionales. Toutefois, le faible niveau de transparence par des Communautés économiques régionales dans l’application des procédures des bailleurs de fonds conduit ces derniers à leur tourner le dos ou à leur confié des rôles mineurs dans la gestion des projets.

    Résultat des courses…...

    Malheureusement ces tensions rendent difficile l’atteinte des objectifs des projets. Il y a clairement une nécessité de clarifier les rôles et éviter les distorsions et leurs conséquences négatives sur la performance des projets, surtout que la finalité de ces projets est l’amélioration des conditions de vie des populations de la région.

    Recommandations

    Les Etats membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale et les bailleurs de fonds devraient soutenir davantage le renforcement des capacités des agences d’exécution régionales comme la Commission des forêts d’Afrique centrale et le Réseau des aires protégées d’Afrique centrale. Ils devraient leur procurer les moyens financiers et techniques suffisants pour assumer pleinement leurs fonctions. Pour ce faire ils devraient aider à mettre en place une division claire du travail dès la conception des projets régionaux et faire une large communication sur les projets et les acteurs de mise en œuvre. Cela éviterait qu’il y ait directement ou indirectement des tensions entre ces agences, les ONG et les unités ad-hoc dans la mise en œuvre des projets régionaux. 

    A partir de votre connaissance de la région, que proposeriez-vous pour améliorer la coordination entre les acteurs de mise en œuvre des opérations d’intégration régionale?


    Notes de fin

    [1] Page 67 du rapport d’évaluation de la stratégie et des opérations d’intégration régionale en Afrique centrale.

    Credits photos: Camion portant du bois pour la Société Fabrique Camerounaise de Paquets (FIPCAM) près du village de Ngon. District d'Ebolowa, Cameroun. Photo par Ollivier Girard/CIFOR

    Jean Mombombi Nyangue, un pêcheur sur le fleuve Congo, Lukolela, République démocratique du Congo. Photo par Ollivier Girard/CIFOR.

     


    Authors


    Mohamed Coulibaly

    Mohamed Coulibaly est macroéconomiste financier et travaille comme consultant au Département de l’évaluation indépendante du développement du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD). Il a participé entre autres à l’évaluation de la stratégie et des opérations d’intégration régionale de la BAD en Afrique centrale publiée en 2018. Il a aussi écrit un article sur l’intégration budgétaire dans l’Union économique et monétaire ouest africaine dans « Regional integration and policy challenges in Africa », un livre paru en 2015 chez Palgrave Macmillan, p 302-325.