Des projets d’une bonne qualité à l'entrée sont destinés à plus de succès - Histoire du projet d'amélioration du périphérique extérieur de Nairobi

Vendredi, 27 novembre, 2020
Evaluation Matters Edition: 
Q3 2020: Evaluation Week Special Edition

Le temps de trajet d’un tronçon de 13 km du périphérique extérieur de Nairobi a été considérablement réduit avec l'ouverture de la route à deux voies de double circulation au début de 2019. Cette amélioration de la route a été possible grâce à un projet lancé en 2015 sur financement de la BAD. En prime, l'intervention a permis de réduire le nombre de morts sur la route, d'encourager la création de nouvelles entreprises et de rétablir la sécurité des usagers. Ces résultats sont d’autant moins surprenants que les conclusions d’une récente évaluation d'IDEV ont établi que le projet avait une bonne « qualité à l'entrée ». La présente étude de cas montrera que l'évaluabilité et l'état de préparation à la mise en œuvre sont des facteurs clés de la qualité à l'entrée susceptibles d’accroître les chances de réussite d’un projet.

Introduction

La qualité à l'entrée est définie comme l'état de préparation nécessaire pour qu'un projet ait des chances de réussir. Lors de sa conception, un projet doit remplir certaines conditions pour être lancé. Ces conditions préparent le terrain pour une exécution aussi harmonieuse que possible du projet et surtout, le prédisposent à atteindre les résultats de développement prévus.

Les meilleures pratiques dans le domaine du développement s'accordent sur quatre dimensions clés (figure 1) visant à assurer la qualité lors de la conception d'un projet, et à s'assurer que celui-ci répond aux normes de bonne qualité à l'entrée. Ces dimensions sont l'évaluabilité, la préparation à la mise en œuvre, l'analyse économique et l'analyse des risques.

Figure 1 : Quatre dimensions clés pour évaluer la qualité à l'entrée des projets


Source :  Évaluation indépendante de la qualité à l'entrée des opérations du Groupe de la Banque africaine de développement (2013-2017), octobre 2018

 
 

De ces quatre dimensions, l'évaluabilité et la préparation à la mise en œuvre se sont révélés être des facteurs clés pour prévoir la performance des projets d'investissement du secteur public, selon l’Évaluation de la qualité à l'entrée des opérations de la BAD réalisée par IDEV.

L'évaluabilité porte sur le cadre logique d'une intervention ou d'un projet. Elle reflète la mesure dans laquelle : (i) la logique de l'intervention est claire et répond à la fois au problème de développement et au contexte du pays ; (ii) la conception de l'intervention est étayée par des preuves ; et (iii) les résultats de l'intervention sont clairs et mesurables.

Quant à la préparation à la mise en œuvre, elle examine dans quelle mesure les différentes exigences de mise en œuvre d'un projet ont été finalisées, ainsi que des questions qui pourraient contribuer aux retards de démarrage d'un projet (voir figure 2).

Figure 2 : Éléments d'une bonne préparation à la mise en œuvre lors de la conception du projet 

 

Source :  Évaluation de l'assurance qualité tout au long du cycle du projet au Groupe de la Banque africaine de développement (2012-2017), octobre 2018

L'évaluation a démontré qu'en examinant deux dimensions - l'évaluabilité et l'état de préparation à la mise en œuvre - d'un projet pendant la phase de conception, il est possible d’anticiper sur la probabilité que celui-ci atteigne valablement les résultats attendus en matière de développement.

Le projet d'amélioration du périphérique extérieur de Nairobi, financé par la BAD, en est un bon exemple, que nous utiliserons pour illustrer les résultats de cette évaluation.

Projet d'amélioration du périphérique extérieur de Nairobi 

En 2013, les embouteillages sur le périphérique extérieur de Nairobi, la capitale du Kenya, étaient un cauchemar pour les habitants. La circulation sur cette route, en particulier aux heures de pointe, était non seulement une véritable torture pour les usagers qui passaient de longues heures dans les embouteillages, mais elle entraînait aussi une perte de revenus pour les entreprises riveraines, car les usagers sortaient rarement de la circulation pour faire des achats. À l'époque, un tronçon de 13 km de route à chaussée unique traversait une zone densément peuplée de Nairobi, reliant cette ville à divers centres d'activités tels que la zone industrielle, et offrant un accès secondaire vers l'aéroport international Jomo Kenyatta et d’autres autoroutes du pays. 

Pour décongestionner cette route, le gouvernement du Kenya a demandé à la BAD un prêt en vue de la transformer en une 2 x 2 voies. C'est ainsi qu'est né le projet de périphérique extérieur de Nairobi.

Selon le document de conception du projet, le rapport d'évaluation du projet, l'objectif de développement était de « renforcer l'efficacité économique en améliorant la mobilité et l'accessibilité des entreprises, soutenant ainsi le développement économique et social de la ville de Nairobi et du pays dans son ensemble ».

Les résultats attendus étaient :   

  1. Améliorer la mobilité et l'accessibilité de la ville de Nairobi et réduire les embouteillages sur le périphérique extérieur ;
  2. Créer des emplois locaux (les jeunes des établissements informels du voisinage reçoivent une formation professionnelle dans le cadre du projet) ;
  3. Améliorer le bien-être économique et social des personnes vivant le long du corridor routier ;
  4. Améliorer la qualité de l'air pour les usagers et les riverains.

Le projet devait coûter environ 133,7 millions de dollars dont 90% couverts par la BAD et 10% par le gouvernement du Kenya. Approuvé en juin 2013 ce projet devait s’achever en septembre 2018. Le Président de la République du Kenya, Uhuru Kenyatta, l’a officiellement lancé  le 22 janvier 2015.  Quatre ans plus tard, le couloir routier était presque entièrement achevé et ouvert à la circulation. [Le projet a été prolongé jusqu'en décembre 2019 pour permettre l'ajout de travaux qui ne figuraient pas dans la conception initiale du projet]. 

L’évaluation de la qualité à l'entrée du projet

Dès le départ, le projet d'amélioration du périphérique extérieur a été conçu pour être un succès. Il a obtenu l'une des meilleures notes pour la « qualité à l'entrée » parmi les projets de la BAD qu'IDEV a retenus dans le cadre de son évaluation de la qualité à l'entrée. Le rapport d'évaluation du projet a notamment attribué une note élevée pour les deux dimensions clés de la qualité à l'entrée que sont l'évaluabilité et la préparation à la mise en œuvre.

Évaluabilité

L'évaluabilité du projet a été jugée très satisfaisante. Le problème de développement était très clair : « La congestion du trafic dans et autour de la ville, avec pour corollaire une incertitude économique et des problèmes de mobilité pour les personnes qui circulent sur la route ». La conception du projet a répondu au problème identifié, ainsi qu'aux principaux facteurs y contribuant, qui ont été étayés par des preuves.  

Figure 3. Chaîne de causalité dans le cadre logique axé sur les résultats du projet 

 

Source :  Reconstitué à partir du rapport d'évaluation du projet d'amélioration du périphérique extérieur de Nairobi, octobre 2013

 

Le lien entre les produits et les résultats du projet était clair dans le cadre logique axé sur les résultats. La chaîne de causalité - des activités aux produits, aux résultats, puis aux impacts - avait été bien démontrée (figure 3).

En outre, les indicateurs et les cibles des produits et des résultats étaient réalistes et réalisables pendant la durée de vie du projet. (Voir tableau 1).

Tableau 1. Quelques indicateurs de résultats définis dans le cadre logique axé sur les résultats du projet

Résultat

Indicateur

Valeur de référence

(valeur à la conception du projet)

Valeur la plus récente

Objectif final

(valeur attendue à l'achèvement du projet)

Évaluation

1 : Decongestion sur le périphérique extérieur

Le rapport volume/capacité

0.8 (2013)

0.83 (2020)

0.4 (2018)

Peu probable d'être réalisé en raison de l'augmentation inattendue du niveau du trafic, et de la congestion localisée dans certaines sections

2 : Création d'emplois locaux

Nombre cumulé de personnes employées dans le cadre du projet 0.0 (2013) 2100 (2018)

2800 (2019)

Réalisation

probable

Source :  Extrait du rapport de la BAD sur les progrès et les résultats de la mise en œuvre, septembre 2019

 

 

Préparation de la mise en œuvre

La figure 1 montre les éléments d'une bonne préparation à la mise en œuvre lors de la conception de tout projet. Dans le rapport d’évaluation, l'estimation du coût du projet de périphérique extérieur était basée sur des études de faisabilité et de conception détaillées actualisées, et un programme de travail détaillé avait été établi pour les 12 premiers mois de mise en œuvre. Le projet disposait d'une agence de mise en œuvre bien établie - la Kenya Urban Road Authority (KURA). Le manuel financier de la KURA s'est avéré bien adapté pour guider la gestion financière et les décaissements, ainsi que les achats pour le projet. En outre, la capacité de gestion financière de la KURA a été jugée adéquate pour le projet.

 

Lors de la phase de conception, la gestion des risques environnementaux et sociaux du projet était une question importante qui devait être abordée. Selon l'étude d’impact environnemental et social de la Banque, le projet était « susceptible d'avoir des impacts environnementaux et sociaux importants ». Il était crucial de disposer d'un plan de gestion des impacts sociaux et environnementaux négatifs probables, y compris la réinstallation involontaire de plus de 200 personnes. Le projet comprenait donc un plan d'action complet de réinstallation.

 

Dans l'ensemble, l'évaluation a estimé que la préparation à la mise en œuvre de la conception du projet était très satisfaisante.

 

Résultats en matière de développement

Selon le rapport de septembre 2019 sur l'état d'avancement et les résultats de la mise en œuvre, le projet devait produire ses résultats de développement comme prévu. Les travaux de génie civil étaient en bonne voie,  87 % étant terminés en septembre 2019.

L’effet 1 du projet a été la réduction de la congestion sur le périphérique extérieur; l’indicateur pour cet effet était le ratio volume/capacité[1]. Lors de la conception du projet (en 2013), le rapport volume/capacité le long de cette route était de 0,8. L'objectif pour cet indicateur était de ramener le ratio volume/capacité à 0,4 à la fin du projet. En septembre 2019, une grande partie de la route avait été ouverte à la circulation publique et le désengorgement était assez évident. Des études récentes (2020) sur le trafic ont montré qu'il y a eu une augmentation imprévue des niveaux de trafic le long de la route du projet. Le rapport actuel entre le volume et la capacité de la route est de 0,83. Néanmoins, des temps de parcours réduits ont été enregistrés. Lors de la conception du projet, la durée du trajet était de 2 à 3 heures ; actuellement, elle a été ramenée à 15 - 30 minutes. L'augmentation des niveaux de trafic est due à l'accroissement du développement dans le corridor du projet et dans la ville. Ce développement comprend de nouveaux complexes commerciaux (Moutain, Shujaa Malls) et des zones résidentielles (Greenspan, Komarock Heights) entre autres, qui font partie des impacts du projet d'amélioration de la route.

La « création d'emplois locaux » constitue l’effet 2 du projet. En septembre 2019, un total de 2 100 personnes avaient été employées dans le cadre du projet, ce qui n'était pas loin de l'objectif de 2 800 fixé pour l'indicateur. (Voir le tableau 1).

Enseignements

Il était important de réaliser les études de faisabilité et les études techniques qui ont servi de base à la conception du projet de périphérique extérieur de Nairobi. Ces études ont fourni au pays, des données sur l’ampleur du problème de développement, ainsi que la justification de la conception du projet. Plus important encore, les études ont contribué à obtenir l'adhésion des autorités compétentes du pays.

Si le ratio volume/capacité cible prévu (de 0,4) pour l'indicateur de résultat 1 du projet a été jugé peu probable, il est important de comprendre que les impacts prévus (notamment la réduction des temps de déplacement) ont néanmoins été atteints. Cela montre que les cibles des indicateurs peuvent ne pas tout dire, car le contexte du projet peut changer au fil du temps. Ainsi, la non-réalisation des objectifs fixés pour les indicateurs n'implique pas forcément qu'un projet ne sera pas couronné de succès.

L'existence de l'agence de mise en œuvre, KURA, a été un énorme avantage pour le projet. Pour des projets d'investissement similaires dans d'autres pays, la Banque a dû faciliter la mise en place d'unités de mise en œuvre. Cette démarche entraîne généralement des goulots d'étranglement tels que des retards dans le démarrage et davantage de bureaucratie dans la gestion du projet.

Conclusion

On ne saurait trop insister sur l'importance d'établir une bonne qualité à l'entrée des projets de développement pendant la phase de conception. Une équipe de projet, ainsi que les responsables de l'assurance qualité ou des mesures de contrôle de la qualité du projet, doivent s'assurer que tous les éléments d'une bonne qualité à l'entrée sont bien articulés dans le document de conception du projet. Comme mentionné au début de cet article, les quatre dimensions de la bonne qualité à l'entrée sont l'évaluabilité, la préparation à la mise en œuvre, l'analyse économique et l'analyse des risques. Toutefois, parmi ces quatre dimensions, l'évaluabilité et la préparation à la mise en œuvre sont les plus importantes à établir pour augmenter les chances de réussite du projet. Le projet de périphérique extérieur a montré que la prise en compte de ces deux dimensions lors de la conception du projet permet de préparer le terrain pour une exécution aussi harmonieuse que possible du projet. Il comportait les bases pour atteindre les résultats de développement prévus et l'impact attendu.

 

Références :

 


[1] Le rapport volume/capacité (V/C) est un indice utilisé pour évaluer l'état du trafic dans les villes. « V » est le nombre total de véhicules qui passent un point en une heure et « C » est le nombre maximum de voitures qui peuvent passer un certain point dans un trafic modéré. Lorsque le rapport V/C approche de 1,0 et plus, les retards et les files d'attente deviennent plus longs.

 

 

 

Author name: 
Jacqueline Nyagahima
Author Biography: 

Jacqueline Nyagahima is a Principal Knowledge Management Officer at IDEV. She holds an MBA from Heriot-Watt University, UK; an MSc with specialization in Computer Science, from Makerere University, Uganda; and a BSc. with Education from Makerere University. Prior to joining IDEV, Jacqueline worked as a Communication and Knowledge Management Consultant in the African Development Bank (AfDB).

She served as the head of communication, information and public relations at the Association for Strengthening Agricultural Research in Eastern and Central Africa (ASARECA) for close to 6 years. She counts among her achievements, raising the profile of communication and knowledge management both at the ASARECA Secretariat and among the member national agricultural research systems. She was in the core team that conceived and developed the Masters program in agricultural information and communication management (AICM). This Masters is now offered in several universities in Eastern Africa, including the University of Nairobi and Egerton University in Kenya, Haramaya University in Ethiopia, and Makerere University in Uganda.