L’apprentissage efficace de l’évaluation est lié à l’obtention de résultats ou d’effets en matière de développement durable
Dans cet éditorial, Peter van Rooij contribue aux discussions de la Semaine d’évaluation 2020 en partageant ses réflexions sur la gestion des connaissances et l’importance de la prise en compte des besoins en connaissances comme point de départ. Il nous livre ses pensées de manière informelle pour engager la discussion sur le sujet sans chercher à établir de règles rigides.
Introduction
La notion de « résultats de développement durable » est formulée en trois mots qui renvoient à différentes dimensions en termes de science et de pratique, et couvrent des sujets importants, qu’ils soient pris séparément ou ensemble. Bien que le présent article n’ambitionne pas de rendre compte de toutes ces dimensions (à supposer que cela soit possible), j’invite le lecteur à les garder en mémoire alors que j’essaie de mettre en évidence un aspect crucial mais souvent négligé du développement durable : Comment gérer les connaissances ? La bonne nouvelle (même si cela n’a rien de nouveau), c’est qu’il existe d’ores et déjà un important corpus de connaissances, ce qui nous permet de concentrer nos efforts de plus en plus sur l’assimilation et le partage de l’apprentissage.
Il y a un commencement à tout, y compris en matière de résultats. Cependant, cela implique une multiplicité de points de départ. C’est l’un des points clés de cet article. Il n’est guère surprenant qu’un article sur la gestion des connaissances préconise une meilleure utilisation des connaissances existantes. Si des progrès ont été accomplis à cet égard dans le secteur privé et le secteur sans but lucratif, de nouvelles avancées peuvent et doivent être réalisées, y compris dans le cadre de la coopération au développement. Ce qui n’est peut-être pas nouveau, mais qui ne fait généralement pas partie d’une approche globale de la gestion des connaissances en matière de développement, c’est d’envisager le point de départ à partir duquel il est possible de développer une meilleure compréhension des besoins en connaissances.
Pour commencer, que dit la littérature ? Il s’agit d’une question classique dans le domaine de la gestion des connaissances, qui préjuge du contenu de cet article (attention, spoiler !). S’il est admis qu’il est essentiel de commencer d’abord par appréhender correctement le type de connaissances dont nous avons besoin, cela s’applique aussi au présent article : essayons de déterminer clairement ce que nous voulons réaliser en nous appuyant sur nos « besoins ».
Commençons par une définition type de la gestion des connaissances : Il s’agit d’une notion qui « se réfère à un effort délibéré et cohérent pour améliorer l’utilisation, le transfert et la création de connaissances dans les organisations »[1]. Une telle définition ne tient pas compte des besoins en connaissances alors qu’il s’agit, à mon avis, d’un élément essentiel.
Mais que dit la littérature sur la notion de connaissances, et plus précisément sur les besoins en connaissances ? Il serait inexact de prétendre qu’il existe un aperçu complet sur le sujet. Par conséquent, il serait plus pragmatique de commencer par aborder certaines notions clés. D’après l’African Journal of Business Management[2], les moteurs de la gestion des connaissances peuvent « être principalement classés en six facteurs de pondération clés : la culture organisationnelle, le cadre organisationnel, le personnel, la technologie de l’information, la stratégie en matière de connaissances et l’innovation ». Où se situent les besoins en connaissances dans cette classification ?
Le processus de gestion des connaissances tel que décrit par Tutorials Point[3] se caractérise par six étapes qui commencent par la phase de collecte. Encore une fois, faisons le point sur les besoins en connaissances, par qui et comment sont-ils déterminés ? En bref, la gestion des connaissances semble « sauter » une étape dans la théorie et la pratique de la gestion et du partage des expériences et de l’expertise.
Faisons de cela le point de départ des quatre questions essentielles sur les connaissances.
Question 1 : Le début
La gestion des connaissances ne se fait pas en vase clos. Prenons l’exemple d’un projet, bien que ces principes puissent aussi s’appliquer à d’autres contextes, sinon à tous. Dans de nombreux cas, nous avons appris à mieux appréhender le contexte, les besoins des homologues ou des bénéficiaires, et l’importance de la mise en place d’une sorte de phase de consultation dans le cadre de la conception d’un projet. Ce qui est le moins souvent abordé, voire pas du tout, concerne l’importance de déterminer les besoins en connaissances, y compris ceux des bénéficiaires, pour assurer le succès d’un projet. Certes, cela peut être facilement considéré comme une question académique, et ça l’est en partie. Cependant, nous cherchons à clarifier les besoins en connaissances lorsque nous énonçons les résultats escomptés, les produits à générer et les apports à identifier. Je n’ai pas encore eu vent d’une approche des besoins en connaissances qui spécifie les connaissances requises pour qu’un projet atteigne ses objectifs. Et pourtant, n’est-ce pas essentiel pour réaliser le développement ?
La question secondaire suivante est de savoir dans quelle mesure cette approche est possible. Quel est le niveau de détail nécessaire ? À quel moment cela est-il pertinent ?
Question 2 : Le « nous » et le « je »
Une fois que le cadre de compréhension des besoins en connaissances est défini, cela nous donne une orientation qui nous permet d’aborder les trois questions suivantes qui sont toutes interconnectées et interdépendantes : 1) De quelles connaissances avons-nous besoin mais que nous possédons déjà ? 2) Quelles sont les connaissances dont nous avons besoin que nous pouvons trouver ailleurs ? Et 3) Quelles sont les connaissances dont nous avons besoin et que nous devons produire ? À partir du point de départ de la connaissance des besoins en connaissances, le premier suivi consiste à évaluer les connaissances (requises) que nous utilisons déjà, en tant qu’entité pilotant l’engagement en matière de développement. Il s’agit là d’un exemple supplémentaire de ce qui est « plus facile à dire qu’à faire ». La question de savoir quelles sont les connaissances, les expériences et l’expertise d’une organisation en matière d’emploi des jeunes, par exemple, n’est pas simple. Une organisation sait-elle ce qu’elle sait ? Et même en sachant qu’il existe des connaissances pertinentes, sait-on où ces connaissances peuvent être récupérées ? De plus, le fait de savoir que des connaissances pertinentes existent, voire de connaître leur emplacement ne résout pas forcément la difficulté d’y accéder. Par exemple, cela pourrait concerner la copie papier d’un document qui est stocké quelque part dans un bureau, sans parler de la question de la facilité d’utilisation des connaissances disponibles.
Question 3 : Ce n’est pas moi, c’est eux !
Cette question découle de la précédente : quelles sont les connaissances requises que nous n’avons pas nous-mêmes mais que nous pouvons trouver ailleurs ? C’est simplement la différence entre ce qui est nécessaire et ce dont « nous » ne pouvons pas nous prévaloir nous-mêmes. Une fois de plus, commençons par identifier clairement les besoins en faisant l’inventaire des connaissances existantes et pertinentes qui sont disponibles ailleurs. Il s’agit de créer des liens avec d’autres organisations et d’autres individus. Cela offre en prime la possibilité d’identifier des partenariats et des synergies éventuels et d’investir en conséquence. Bien que les partenariats en tant que tels ne fassent pas l’objet du présent article, il n’en reste pas moins qu’une coopération renforcée et améliorée permet de réaliser ce qui manque encore en termes d’impact : la mise à l’échelle. Fort d’une expérience de 250 projets conduits dans un pays pendant cinq ans sur un même sujet, je m’interroge sur les notions de mise à l’échelle, de gains d’efficience, de collaboration et, une fois de plus, de coopération au niveau des connaissances.
D’autres organisations (et d’autres individus) pourraient ainsi bénéficier à leur tour d’un accès élargi et amélioré à « nos » connaissances. Un tel engagement pourrait également englober le partage des besoins en connaissances, qui se traduirait par une meilleure compréhension des besoins des autres en termes de connaissances. Bien entendu, un tel engagement peut aussi inclure un partage d’expérience et d’expertise pertinentes, une formule assurément gagnante pour tous.
Les défis liés aux connaissances que connaît une organisation peuvent aussi se refléter dans d’autres. Si la question de savoir ce que l’on sait et d’identifier où et avec quelle facilité les connaissances pertinentes sont rendues accessibles se pose au sein d’une organisation, il se peut fort bien que cela soit aussi le cas ailleurs, même si certaines organisations réussissent mieux que d’autres à faire bon usage des connaissances dont elles disposent.
Question 4 : Recherche validée !
Enfin, la question 4 aborde le problème de l’insuffisance des connaissances : quelles sont les connaissances dont nous avons besoin, mais dont ni nous, ni d’autres ne disposent ? Autrement dit, quelles sont les connaissances qui doivent être produites ? Il n’y a aucune garantie que toutes les connaissances requises puissent être mobilisées par le biais de sources existantes ou futures. Certains besoins en connaissances pourront tout simplement restés non pourvus à un moment donné et dans un certain contexte. Ces besoins non satisfaits sont pourtant utiles pour un certain nombre de raisons. Ils permettent l’identification des besoins en connaissances ainsi que leur hiérarchisation. En outre, ils mettent l’accent sur une meilleure compréhension du temps et du contexte qui gouvernent les contraintes de la production ou du moins de la récupération de connaissances qui en elles-mêmes peuvent être utiles.
Essentiellement, la production de connaissances, y compris à travers la recherche et les projets pilotes, doit être justifiée. Cette justification est notamment axée sur la question centrale des besoins en connaissances et des conditions préexistantes, c’est-à-dire les lacunes en matière de connaissances.
Combien de recherches sont menées sur la base de besoins en connaissances mal définis, basés sur des besoins hypothétiques ? La hiérarchisation des besoins en connaissances entre également en jeu. Combien de fois supposons-nous à tort que des connaissances n’existent pas alors qu’en fait elles existent ? C’est une constatation fréquemment faite au cours d’une carrière de près de 30 ans passés au service du développement : la roue est réinventée à maintes reprises, avec de graves répercussions, y compris au prix d’un gaspillage en temps et en ressources, sans nécessairement atteindre la qualité des connaissances existantes, ce qui entraîne un coût supplémentaire pour le développement. Il y a des personnes, y compris parmi les consultants, qui en ont fait une carrière. Dans ce cas, peut-être devrions-nous examiner les avantages de réinventer la roue, surtout lorsque celle-ci est capable d’évoluer et de s’adapter à différents contextes.
Cela concerne le point lié au contexte, y compris temporel. Les besoins en connaissances sont spécifiques. Le copier-coller n’est pas la solution et n’apporte aucune réponse aux questions 2 et 3. L’inspiration et l’adaptation sont une bien meilleure approche de la production des connaissances.
Et alors ?
« Et alors ? », me direz-vous. Quatre questions sur la gestion des connaissances réunies en un concept intégré. Est-ce une nouvelle vision et une théorie complémentaire de la gestion des connaissances ? Pensez-y plutôt comme à une « belle théorie sur la gestion des connaissances », qui, espérons-le, repoussera un peu plus loin les limites de la gestion des connaissances appliquée.
Dans quelle mesure ce qui précède est-il pragmatique ? C’est une bonne question qui mérite plus d’attention. La réponse complète ne peut être fournie dans ce bref contexte. Ce qui est clair, c’est la nécessité de mettre en place un suivi, à la fois théorique et pratique, du concept des « quatre questions pour la gestion des connaissances », en testant la théorie et en approfondissant le concept au plan académique.
Examinons de manière critique le cadre des quatre questions essentielles de la gestion des connaissances. Un point préoccupant peut être la nature plutôt théorique du concept. Dans quelle mesure, par exemple, peut-on identifier en détail les besoins en connaissances d’un projet, dès le départ ? C’est une question importante, cependant, nous devons examiner nos approches actuelles de la gestion des besoins en connaissances à travers le temps et les cycles de travail. Dans quelle mesure avons-nous essayé de le faire ? Quelles sont les implications de ne pas le faire ? S’il y a une leçon que nous apprenons dans la conception des programmes, c’est l’utilité d’une phase d’identification et d’appropriation en tout début de processus, qui pourrait se poursuivre en partie au démarrage effectif d’un projet. Nous savons que c’est une étape essentielle pour parvenir à une meilleure compréhension et nous consacrons de plus en plus de temps et de ressources pour investir dans l’impact et la durabilité. Il y a au moins un parallèle comparable en termes d’identification des besoins en connaissances. Peut-être que ces deux éléments pourraient être combinés et mutuellement renforcés.
John Naisbitt aurait dit : « nous nous noyons dans les informations mais nous sommes affamés de connaissances ». C’est vrai. La gestion des connaissances n’est pas concernée en priorité par la quantité ni même la qualité de l’information. Ces aspects sont certes importants, mais c’est aussi la pertinence de l’information qui compte. L’attention portée à la gestion des connaissances et à de nombreuses autres initiatives risque de nous faire confondre information et gestion des connaissances : nous nous noyons dans la gestion des connaissances mais nous avons faim de connaissances pertinentes.
Passons donc au contexte de cet article : quel apprentissage efficace peut-on tirer de l’évaluation ? En quoi est-ce pertinent pour les quatre questions essentielles de la gestion des connaissances ? Est-ce une simple évidence ou cela mérite-t-il une réflexion et une introspection ? Le suivi et évaluation est essentiel au succès de la mise en œuvre des projets, y compris en termes d’efficacité. Les processus de suivi et évaluation sont très pertinents pour les quatre questions essentielles de la gestion des connaissances et leur application. Le point de départ de l’évaluation est identique à celui de la compréhension des besoins en connaissances. La prise en compte de cette équivalence rehausse l’efficacité de l’évaluation et de sa valeur ajoutée. L’évaluation ne se fait pas non plus dans le vide, elle est aux prises avec des dimensions internes et externes. Enfin, l’évaluation peut identifier les lacunes en matière de connaissances et en combler certaines. La manière dont nous traitons les résultats de l’évaluation, y compris la manière dont nous garantissons l’apprentissage qui peut en résulter, présente un certain nombre de similitudes avec les quatre questions essentielles de la gestion des connaissances.
[1] Satio, Andre, What is the scope of knowledge management? [EKM Series] https://realkm.com/2015/12/14/what-is-the-scope-of-knowledge-management-ekm-series/ posté le 14 décembre 2015
[2] African Journal of Business Management, (4 juin 2011), Vol.5 (11), pp. 4388-4402
[3] https://www.tutorialspoint.com/management_concepts/knowledge_management.htm, consulté en décembre 2020