L’assistance de la Banque africaine de développement aux États fragiles, 1999 - 2010

Date: 31/05/2012
Type: Évaluation thématique
Secteur(s): Aide d'urgence
Statut: Achevé(e)
Ref.: TR10007

Evaluation Team

Task Manager: Jessica Kitakule, Lead Evaluation Officer

Objective

Le présent rapport évalue la contribution apportée par la Banque africaine de développement au cours des dix dernières années pour relever les défis de développement de ses PMR en situation de fragilité.  Le rapport met en particulier l’accent sur la période écoulée depuis l’adoption, en 2008, de la Stratégie d’engagement renforcé dans les États fragiles. Conformément à ses termes de référence, le rapport évalue les performances par rapport aux objectifs et normes fixés dans cette Stratégie, ainsi que les normes de bonnes pratiques internationales sur lesquelles la Stratégie est fondée. Plus précisément, il passe en revue la pertinence, l’efficience ainsi que l’efficacité organisationnelle de l’appui de la Banque aux États fragiles.

Main Findings

  • Approche des États fragiles : Au cours de la décennie écoulée, la Banque a développé une approche plus explicite et systématique du travail dans les États fragiles. Les grandes étapes ont été l’adoption des directives d’assistance aux pays sortant de conflit en 2001, la création d’une Facilité en faveur des pays sortant de conflit en 2004, et l’adoption de la Stratégie pour l’engagement renforcé dans les États fragiles, appuyée par la Facilité en faveur des États fragiles (FEF) en 2008. Grâce à ces mesures, la Banque a renforcé la sensibilisation générale sur les besoins spéciaux des États fragiles dans ses activités, et alloué des ressources financières supplémentaires substantielles pour répondre à ces besoins.
  • Identification des États fragiles et application des critères d’éligibilité : Depuis 2008, la Banque africaine de développement (BAD) a pris un train de mesures en vue d’améliorer et de différencier son soutien aux États fragiles. Les critères d’éligibilité ont été appliqués de manière transparente, et une approche flexible a été parfois adoptée en fonction des besoins. Toutefois, la classification des États fragiles et les critères d’éligibilité pour les allocations financières suscitent des préoccupations de fond et au plan opérationnel.
  • Volume de l’assistance de la BAD : La plupart des États fragiles font face à d’énormes besoins et de grande portée auxquels la BAD a apporté des contributions importantes. Dans  quelques cas, ces contributions ont joué un rôle catalyseur, mais elles ont été rarement déterminantes en elles-mêmes. Depuis 1999, les engagements de la BAD en faveur des États fragiles ont globalement eu tendance à augmenter plus vite que dans les États non fragiles. Les allocations en volume ont généralement été pertinentes et adaptées à l’évolution des capacités d’absorption et de gestion financière des pays concernés.
  • Utilisation des instruments : Les instruments et les modalités de la BAD ont répondu à une vaste gamme de besoins et de capacités des pays et ont été renforcés par de nouveaux appuis introduits par la création de la Facilité pour les pays sortant de conflit en 2004 et par la FEF en 2008. Les programmes réguliers et spéciaux de la Banque ont produit des résultats significatifs au plan de l’apurement des arriérés, de la réhabilitation des infrastructures et du renforcement des capacités dans certains domaines. L’utilisation de l’appui budgétaire par la Banque a bénéficié à des gouvernements d’États sortant de conflit. Des trois piliers fonctionnels de la FEF, le Pilier II consacré à l’apurement des arriérés a obtenu de bons résultats par rapport aux objectifs fixés dans la stratégie, les performances du Pilier I sur l’appui supplémentaire aux pays sortant d’une situation de conflit ont été modérément bonnes, tandis que les performances du Pilier III consacré au renforcement des capacités et l’assistance technique ont été décevantes.
  • Efficience : Globalement, par rapport aux critères classiques d’efficacité utilisés par la BAD, les résultats sont mitigés, compte tenu du fait que les situations de fragilité nécessitent des actions plus rapides et plus flexibles. Depuis 2008, la FEF a apporté davantage de flexibilité et de réactivité aux besoins des États fragiles. L’apurement des arriérés a été rationalisé. Bien que les performances dans les États fragiles aient été, sans surprise, inférieures à la moyenne par rapport aux mesures types de la Revue Annuelle de Performance
    du Portefeuille (RAPP), le Pilier I a été un mécanisme efficace pour des transferts supplémentaires importants avec des contraintes additionnelles limitées. Le Pilier III n’a pas encore pris la forme programmatique prévue en tant qu’instrument flexible et efficace d’appui au renforcement des capacités.
  • Efficacité organisationnelle : La prise de décisions pour les programmes en faveur des États fragiles a surtout suivi les pratiques normales de la Banque, malgré une attention de plus haut niveau accordée à l’apurement des arriérés et aux situations de crise, et des dispositions efficaces pour la gestion du programme spécial d’assistance technique qui n’ont pas encore été mises en place. Globalement, la vision de la Stratégie consistant en un engagement renforcé et plus réfléchi de toute la BAD dans les États fragiles n’a pas encore été soutenue par un plan de mise en oeuvre réaliste et graduel ainsi que par les types de changements institutionnels et de systèmes d’appui nécessaires. À ce stade, la Banque n’a pas encore mis en place les dispositions appropriées au niveau supérieur pour garantir une attention et une coordination stratégiques soutenues dans ce domaine ; les fonctionnaires de l’Unité des États fragiles (FSU) ne sont pas déployés avec le maximum d’effet et ceux qui sont chargés de programme ne sont pas encore outillés pour appliquer le savoir de la fragilité et les outils pertinents dans le cadre de leur travail dans les États fragiles. Un surcroît de décentralisation serait d’une grande utilité, sans pour autant représenter une solution miracle.
  • Qualité de la réponse : L’appui de la BAD aux États fragiles a certes été adapté aux demandes et aux besoins urgents, mais dans la plupart des cas, il n’a pas été soutenu par une analyse suffisante du très important contexte politique et des causes du conflit et de la fragilité. Des liens explicites n’ont pas été établis sur comment la programmation de la Banque doit être intégrée dans les objectifs nationaux en matière de consolidation de la paix et d’édification de l’État1, comme le prévoit la Stratégie. Comme le souligne le premier principe de bonnes pratiques internationales, cette absence d’une « optique de fragilité » et l’approche de « maintien du statu quo » créent de gros risques d’échec et éventuellement de dommages plus graves suite aux interventions de la Banque. Bien que la coordination et le travail d’équipe soient particulièrement importants dans les situations de fragilité, le travail en partenariat de la Banque a été jusqu’à présent limité et réalisé essentiellement au niveau des projets plutôt qu’au niveau stratégique.
  • Contributions aux résultats : Les contributions les plus significatives de la BAD dans les États fragiles ont été apportées dans la normalisation des relations internationales de ces États à travers l’apurement des arriérés et les allègements de dette qui en résultent. Il s’agit d’effets de haut niveau et de fort impact. Une  contribution significative a également été apportée à la reconstruction des infrastructures de base et la fourniture de l’accès aux services essentiels ainsi qu’aux réformes de la gestion des finances publiques.  En revanche, la Banque a manqué des opportunités importantes de contribuer systématiquement au renforcement des capacités, aux processus de reconstruction et de réconciliation et à l’édification de l’État de manière générale.

Main Recommendations

Recommandation(s) à la Banque :

  • La Banque doit envisager une approche programmatique plus large pour les « situations de fragilité et en voie de stabilisation » où les fonctions essentielles et la résilience de l’État, de la société et/ou de l’économie sont gravement compromises ou sont particulièrement vulnérables aux chocs, lorsque le redressement à l’issue de chocs graves se poursuit. Une telle approche répondrait mieux aux besoins des catégories d’« États fragiles » qui ne sont pas convenablement couverts dans la Stratégie de 2008 et ceux des PMR et des régions qui sont en voie de stabilisation après un conflit et/ou une mutation politique fondamentale. Elle permettra aussi de prendre en compte un aspect important, celui de la prévention2. Des approches axées sur le mérite et une pratique de partenariat de premier plan, pourraient servir de base permettant à la Banque d’attirer davantage d’appui pour ses interventionsdans des situations de fragilité, par exemple, de la part de bailleurs de fonds non classiques.
  • Au lieu de recourir à une formule d’allocation axée sur les pays pour l’octroi des financements supplémentaires, de la même manière que les allocations de base du FAD fondées sur les performances, la nouvelle approche fixerait un petit nombre d’objectifs et de critères clés pour l’assistance de la BAD et allouerait ensuite les ressources supplémentaires disponibles du FAD, de la BAD et autres ressources de manière réactive (comme c’est le cas avec l’apurement des arriérés) à travers une approche d’allocationglissante basée sur le mérite.
  • Les objectifs et les critères devraient être dictés par des évaluations plus en profondeur des besoins dans les différentes situations de fragilité et en voie de stabilisation, et par les atouts avérés de la Banque dans les domaines concernés.
  • Ce financement réactif ne doit pas être soumis à des délais normaux de désengagement, mais être disponible pour les projets à plus court et à plus long termes. Il doit être alloué sur la base d’évaluations plus fréquentes (éventuellement trimestrielles) du contexte et de la solidité des propositions émanant des pays et des équipes.
  • Étant donné l’importance des enjeux et la difficulté des appréciations qu’impliquent ces décisions d’allocation, celles-ci devraient être prises à un niveau élevé avec la contribution d’un personnel spécialisé.
  • Les objectifs fondamentaux assignés actuellement aux trois piliers pourraient être maintenus, à savoir renforcer les opérations régulières, soutenir l’apurement des arriérés et créer un guichet hautement flexible pour l’assistance technique et le renforcement des capacités dans les situations de fragilité et en voie de stabilisation (incluant parfois les besoins anticipés urgents).
  • Rationaliser et réaffecter les responsabilités au sein des structures de la Banque pour permettre une intervention institutionnelle efficace dans les situations de fragilité.
  • Les bureaux extérieurs, les départements régionaux et sectoriels de la Banque doivent avoir un niveau de responsabilité suffisant (ainsi que des ressources adéquates) pour la planification et l’exécution des programmes dans les situations de fragilité et en voie de stabilisation (y compris le renforcement des capacités et l’assistance technique) ainsi que pour la réalisation des travaux d’analyse et l’application des orientations stratégiques nécessaires pour ces activités. Il faudrait procéder à une revue des mécanismes de responsabilisation et d’incitation des départements régionaux et sectoriels afin d’encourager davantage de travaux d’analyse et d’approches évolutives nécessaires dans les États fragiles.
  • L’unité des États fragiles ne doit plus être chargée de la gestion directe des activités d’assistance technique et de renforcement des capacités au titre du Pilier III, ainsi que des fonctions vagues et irréalistes de « coordination » et de « facilitation » qui lui avaient été assignées en 2008. L’Unité doit être réformée pour devenir une ressource spécialisée de savoir et jouer un rôle dans l’allocation des ressources afin de conserver ses liens opérationnels et son influence par une prise en compte systématique et effective du savoir. Elle doit intégrer les orientations internationales les plus récentes axées sur la pratique3 (voir Annexe 2) et l’expérience propre de la Banque afin de produire rapidement des orientations pratiques et des outils opérationnels adaptés aux besoins et capacités actuels de la BAD. Cela doit inclure des directives pour les évaluations tenant compte de la fragilité à intégrer dans les Documents de stratégie- pays – principal outil directif de la Banque – et le recours au suivi (y compris la surveillance de l’environnement externe) dans chaque proposition de programme dans les situations de fragilité et en voie de stabilisation. L’Unité devrait également être chargée de la formation systématique du personnel de la BAD concerné afin de le préparer à appliquer les connaissances pertinentes.
  • La Banque doit déterminer le complexe qui a le plus de chances de jouer le rôle de chef de file dans la mise en oeuvre des changements institutionnels nécessaires pour permettre à l’ensemble de la Banque de donner suite aux engagements valables de sa Stratégie de 2008 et aux révisions qui sont à présent nécessaires ainsi que d’assurer la coordination permanente requise. L’Unité des États fragiles doit être logée dans un tel complexe. 
  • Avec des responsabilités couvrant tout le continent africain et la nécessité d’assumer un rôle stratégique utile dans tous les pays et régions d’Afrique en situation de fragilité et en voie de stabilisation, la BAD doit appliquer et promouvoir des efforts internationaux mieux concertés, harmonisés et coordonnés. Elle jouit d’un potentiel unique pour devenir un champion efficace du partenariat, de l’échange pratique des données d’expérience enraciné dans les conditions africaines, et de la réponse aux conditions de fragilité par-delà les frontières.
  • La Banque doit consacrer davantage d’efforts aux mécanismes actuels de coordination entre les bailleurs de fonds, en particulier au niveau stratégique, et contribuer activement à bâtir des mécanismes additionnels ; faire avancer le processus de décentralisation au profit des États fragiles et doter les bureaux nationaux de responsabilités, de pouvoir de décision et de ressources.
  • La Banque doit élaborer un plan opérationnel pour les réformes transversales requises par la Stratégie de 2008, qui incluent de meilleurs partenariats extérieurs, un travail d’analyse plus robuste, la formation et des mesures d’incitation appropriées du personnel à travailler dans les États fragiles.