Par Karen Rot-Munstermann Évaluateur générale par intérim, Banque africaine de développement. Cet article a été préparé à l’occasion des assemblées annuelles 2019 de la Banque africaine de développement, qui se sont tenues à Malabo, en Guinée équatoriale, du 11 au 14 juin 2019, sur le thème de "L’intégration régionale pour la prospérité économique de l'Afrique". Crédit photo: Département de la communication BAD.
Pour parvenir à un développement inclusif dans les pays africains, la Banque africaine de développement a identifié cinq domaines prioritaires, les High 5, qui guident la mise en œuvre de sa stratégie décennale pour la période 2013-2022 : Éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie, Nourrir l’Afrique, Industrialiser l’Afrique, Intégrer l’Afrique, Améliorer la qualité de vie des populations en Afrique. Pour favoriser l’intégration régionale, la Banque concentre ses efforts sur la mise en place d’une Afrique stable, intégrée et prospère, composée d’économies compétitives, diversifiées et durables pleinement actives sur le marché international des échanges commerciaux et de l’investissement.
Favoriser l’intégration régionale est une priorité essentielle de la Banque africaine de développement depuis 1963. En effet, l’article 2 de l’Accord portant création de la Banque recommande d’accorder une attention particulière aux choix d’Opérations multinationales (OM) adaptées, définies comme des projets couvrant au moins deux pays. Conformément à cette recommandation, la Banque a renforcé, ces dernières années, son aide stratégique et opérationnelle aux projets et initiatives en faveur de l’intégration régionale en Afrique. Dans ce cadre, elle a d’abord approuvé, en 2009, une stratégie d’intégration régionale à l’échelle du continent, suivie en 2011[1] de la publication de documents sur une stratégie d’intégration régionale pour quatre de ses cinq régions (Afrique de l’Est, Afrique centrale, Afrique de l’Ouest et Afrique australe) puis, pour la période 2014-2023, d’une politique et d’une stratégie d’intégration régionale.
L’Évaluation indépendante du développement (IDEV)[2] de la Banque africaine de développement participe à cette action en permettant à l’institution d’évaluer ses politiques, ses stratégies et ses opérations menant à une intégration régionale plus poussée. Entre 2012 et 2018, elle a effectué quatre évaluations :
- Relever les défis de l’intégration régionale en Afrique centrale : Évaluation de la stratégie et des opérations d’intégration régionale de la Banque africaine de développement, 2018
- Évaluation indépendante du document de stratégie d’intégration régionale de la Banque africaine de développement pour l’Afrique de l’Est, 2017
- Évaluation indépendante de la qualité à l’entrée des stratégies d’intégration nationale et régionale, 2014
- Encourager l’intégration régionale en Afrique : évaluation des opérations multinationales de la Banque, 2012
Ces évaluations offrent à la Banque l’occasion de tirer des leçons des expériences antérieures et de mettre en évidence un certain nombre de points à examiner, dont les plus importants sont les suivants.
Intérêt et utilité des politiques
La Banque a mis au point un cadre stratégique et opérationnel de plus en plus cohérent pour mener à bien ses opérations d’appui à l’intégration régionale. Ce cadre a été particulièrement utile pour asseoir plus fermement sa vision stratégique et renforcer sa capacité à faire preuve de sélectivité dans le financement des OM, par l’intermédiaire du Fonds africain de développement. Les évaluations mentionnées ci-dessus montrent que la Banque pourrait concentrer davantage d’efforts au financement des infrastructures régionales et au renforcement des capacités des Communautés économiques régionales. Une meilleure connectivité physique et une meilleure infrastructure liée aux échanges commerciaux sont nécessaires pour que ces derniers puissent se développer et contribuer à la croissance économique, ainsi qu’à la réduction de la pauvreté. Cependant, investir dans ce type d’infrastructure ne garantit pas que les perspectives commerciales se concrétisent. D’autres contraintes actives (comme les entraves aux échanges commerciaux, légales et illégales) doivent également être levées.
L’importance du secteur privé et de la société civile a été maintes fois soulignée dans les stratégies et les opérations d’intégration régionale de la Banque. Cependant, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour s’assurer de la participation réelle et efficace des acteurs non gouvernementaux dans de telles stratégies et opérations. En outre, la structure et les modalités d’incitation à collaborer avec des acteurs non gouvernementaux peuvent être améliorées.
Performance des opérations appuyant l’intégration régionale
Les évaluations montrent que la performance des opérations liées aux infrastructures menées par la Banque pour appuyer l’intégration régionale est plutôt satisfaisante, tandis que la performance des opérations de renforcement des capacités doit s’améliorer. Elles montrent aussi qu’il est possible d’évaluer les performances des opérations liées aux infrastructures en termes de résultats, tels que les kilomètres de routes construits ou remis en état, les kilomètres de câbles à fibre optique posés, le nombre de mégawatts d’électricité produits/transportés, etc. En revanche, la documentation et les statistiques permettant de mesurer l’efficacité des OM en termes de résultats tels que le volume des échanges commerciaux intrarégionaux, l’accès aux réseaux d’électricité et de télécommunications et la croissance économique, font souvent défaut.
Les évaluations montrent que si les résultats des OM peuvent être parfois décevants, ils sont le fait, pour l’essentiel, d’une faiblesse de conception, d’une prise en main limitée du projet par le pays, de capacités humaines (qualification et personnel) médiocres au sein des organisations régionales et des diverses agences d’exécution, ou encore d’une réponse inadaptée de la Banque aux demandes des unités d’exécution des projets. Une autre difficulté concerne la durabilité des produits et des résultats. Les propositions de projets comportent rarement d’estimations de coûts à venir et n’offrent pas de planification pour les phases ultérieures des opérations qui, en raison de leur nature, répondent à des problèmes de long terme.
Renforcement des capacités et prise en main des projets par les pays
La Banque soutient l’intégration régionale principalement à travers les communautés économiques régionales. Cependant, les CER africaines sont confrontées à des faiblesses structurelles qui compromettent leur capacité à promouvoir avec efficacité l’intégration régionale. Les CER font également face à des problèmes de viabilité financière, certains pays africains ne s’acquittant pas en temps voulu de la taxe communautaire aux CER. Enfin, certaines CER disposent d’une faible capacité d’exécution des projets. Les évaluations recommandent par conséquent que la Banque :
- aide les CER à mettre en place des unités spécialisées de réalisation de projets dotées d’un personnel expérimenté pour gérer leur exécution. Ces unités pourraient servir de centres de coordination pour tous les donateurs qui mettent en œuvre des opérations régionales par l’intermédiaire des CER ;
- apporte son assistance pour la mise en place d’unités de suivi et d’évaluation au sein des CER pour le recueil de données concernant les résultats des projets régionaux, et pour assurer un suivi permanent des progrès de l’intégration régionale.
Dialogue sur les politiques et coordination
Les évaluations montrent que l’apport des OM à l’intégration régionale et, in fine, à la mutation économique de l’Afrique aurait plus de chances d’être durable si les gouvernements adoptaient des mesures d’accompagnement et procédaient à des réformes de politique générale à l’échelon national. En outre, les dialogues de haut niveau et les programmes de sensibilisation de la Banque sont nécessaires pour promouvoir et renforcer l’intégration régionale.
Au niveau des pays, les évaluations montrent que les donateurs collaborent de plus en plus à l’élaboration et à la mise en œuvre de programmes sectoriels tels que l’énergie, les transports et l’eau. Cependant, il n’existe souvent pas de plateforme officielle pour la coordination des donateurs régionaux. Une possibilité d’amélioration existe donc.
À travers le financement d’infrastructures nationales et multinationales et de projets de renforcement des capacités, la Banque entend non seulement accroître les échanges transfrontaliers de biens et de services, mais également à améliorer la mobilité des personnes et des investissements sur le continent africain. La Banque peut puiser dans son riche passé d’appui à l’intégration régionale, d’évaluations indépendantes, de travaux de recherche et d’analyses pour tirer des leçons de ce qui a fonctionné, de ce qui n’a pas fonctionné et des raisons qui ont sous-tendu les résultats obtenus afin d’orienter ses opérations futures. S’attaquer aux problèmes et obstacles recensés sera essentiel pour réussir la mise en œuvre des stratégies d’intégration régionale de la Banque.
Ecoutez également le message vidéo de Karen destiné aux participants de AfDBAM2019
[1] La stratégie pour l’Afrique du Nord n’a pas été développée en raison du Printemps arabe qui s’est produit à l’époque.
[2] L’Évaluation indépendante du développement de la Banque africaine de développement permet de mener des évaluations indépendantes des opérations, des politiques et des stratégies de la Banque concernant tous les projets, secteurs, thèmes, régions et pays. En menant des évaluations indépendantes et en partageant activement les meilleures pratiques, IDEV veille à ce que la Banque et ses parties prenantes tirent des leçons des expériences antérieures et planifient et réalisent des opérations de développement conformes aux normes les plus élevées possibles..